Souvenirs et transmission
Si je ressens le besoin de vous faire ce récit, ce n’est pas par égocentrisme ou démagogie, mais pour faire comprendre mon vécu du costume d’Arles.
Bien entendu, la pérennité de nos traditions et de notre beau costume nécessite une codification et des règles (mises en place par le félibrige), mais plus on avance dans le temps (donc plus on s’éloigne de sa contemporanéité), plus les « interdits » se multiplient (au nom de quoi ?) et ça, ça me fait bondir !
Il faut garder à l’esprit que le costume est et était vivant. Nos aïeules l’adaptaient aux saisons, aux circonstances, au vécu, à leurs propres goûts et à leurs propres moyens. Je défends et défendrai toujours la popularité du costume, au sens noble du terme. Et je me bats et me battrai toujours contre ceux qui font tout pour le réserver à une élite.
Gardons le respect de mémoire de nos aîné(e)s, qui pour la grande majorité se privaient pour le costume. On ne jetait rien. Le moindre morceau de tissus, par exemple, pouvait faire un bout de doublure. On trouve sur des pièces très anciennes, de véritables patchworks formants les doublures.
Voilà pourquoi ça me fait hurler quand j’entends « il est interdit » d’avoir la bourse dans le même tissus que la jupe par exemple. Vous croyez que nos grands-mères mettaient à la poubelle le tissus restant ? Entendre « il est interdit », pour moi, c’est leur faire offense. Et ce genre de discours et de critiques gratuites, sans même prendre le temps de parler, d’expliquer, fait fuir bon nombre de jeunes filles attirées par le costume.
Alors voilà pour toutes ces raisons, je vous fais part de quelques uns de mes souvenirs et de ce qui m’a orienté dans mes choix.
____
1945. On sortait juste de la guerre. J’avais 7 ans. Il fallait tourner la page, oublier le ciel en feu, revivre et faire revivre.
Je suis allée chez ma grand-mère. Elle avait fait venir mon cousin et de la famille pour leur montrer la beauté des fêtes d’Arles. On sentait une effervescence à relancer la tradition. La guerre ne devait pas avoir raison d’elle.
Ma grand-mère a récupéré une pèlerine de l’un, des ganses de l’autre, dans des vieux manteaux, elle a confectionné un pantalon pour mon cousin, un costume pour moi. Et voilà pourquoi à 7 ans je me suis retrouvée pour les fêtes d’Arles en costume gansé. Et on ne cria pas au blasphème, c’était une circonstance, un réveil. Alors bien entendu on n’habille pas une fillette en gansé, mais voilà, là, il ne serait venu à l’idée de personne de crier au scandale, parce qu’on était dans la liesse, dans le moment.
Adolescente, je faisais partie du groupe « li Riban d’Arle ». Son président était M Chaix ; ses sœurs Madeleine et Jeanne étaient de célèbres modistes de la place de la mairie. C’est l’une d’elles qui m’a appris comment former les chapeaux à partir de pointes de feutre.
Pour le 25eme anniversaire de la Cocarde d’Or, trois des demoiselles d’honneur de la Reine d’Arles s’étaient fiancées, et par ce fait, ne pouvaient pas participer à cet événement. Alors les organisateurs ont fait venir trois filles de notre groupe pour les remplacer. C’est Marie Rose Flandrin qui a fait la sélection. Elle était intransigeante, il fallait être parfaite. J’ai eu la chance cette année là de remettre la coupe. Et cette coupe, je l’ai remise … en costume 3 pièces. Oui le costume 3 pièces se portait ! Au printemps ou en automne, oui, on pouvait porter le costume 3 pièces.
J’ai une jolie histoire de famille à vous raconter : Le mariage de ma grand-mère et de mon grand-père PAUL en 1907.
Mon arrière grand-père a eu d’abord deux garçons, son troisième enfant était une fille, il en était si fier et si heureux.
Paysan d’Aureille, il allait vendre ses légumes jusqu’à Salon. Et avec le peu d’argent qui pouvait lui rester, ma grand-mère l’avait chargé d’acheter des morceaux de dentelle.
C’est ma grand-mère qui a confectionné la pèlerine de mariée avec les bouts de dentelle en question, et voilà pourquoi cette si belle pèlerine est confectionnée de trois dentelles différentes. J’ai toujours en ma possession ce précieux costume de mariage et suis fière de l’exposer.
Et mon amour pour le costume français 1900, me vient de toutes les photos de cette époque. Femmes en chapeaux, messieurs si élégants en costume français, et Arlésiennes, tous, déambulant en parfaite harmonie. Et j’aime retrouver cette diversité de l’époque.
Plus tard, séparée de mon mari et préoccupée par des affaires familiales, il fallait que je fasse rentrer un peu d’argent afin de pouvoir m’occuper de mon fils. De ci de là, j’allais coiffer des dames importantes et je me suis remise à la couture ; J’ai fais une série de costumes que j’ai pu commencer à louer en montant ma micro entreprise.
En 1992, FR3 m’a fait un petit reportage. A partir de 1997, j’ai fais des reconstitutions avec l’aide et la figuration de membres de ma famille. Puis il y a eu le tournage du « Grand Batre » dans lequel, il y a des costumes de Jean Charles, Mme Niel et moi-même. En 1999 une école taurine s’est offerte une soirée tradition, et cet événement à marqué le débuts des sorties sous contrat.
Mais je ne laissais pas mon principe premier : transmettre gratuitement mes connaissances ou aider les personnes prises par la passion. Comme, par exemple, un groupe de Fourques auquel j’ai prêté les costumes pour un hommage à Mistral lors des prémices du riz de 2000.
Toujours en 2000, c’est l’arrivée de Réné, mon compagnon de vie et de tradition. Je connaissais sa famille, mais pas lui. Et alors que j’avais besoin de beaucoup de monde pour porter des costumes, j’ai appelé son frère qui s’est démené à me trouver le monde nécessaire. Lors du défilé, une des jeunes filles souffrait terriblement du pied, je lui ai laissé ma place dans la calèche et suis allée me positionner avec les autres. C’est là que j’ai pris le bras de René … et je ne l’ai plus lâché !
2003 : Année de la création du « Ruban de Trinquetaille ». Les sorties, les défilés, les causeries, les reconstitutions, les expos … se sont multipliées : Aptes, Saint Andiol, Chateaurenard, Arles, Saint Remy, Forcalquier, et bien d’autres.
Le début d’une belle histoire avec un groupe qui avance dans la bonne humeur depuis ces 10ans.
-Bonne humeur même quand on doit se justifier du choix, de mêler costume d’Arles, et 1900.
-Bonne humeur même quand on doit répondre aux médisances suite à l’élection successive de La Damisello dou Castèu et de la Dame de Saint Remy par des jeunes filles membres du groupe.
-Bonne humeur même quand la jalousie pousse aux critiques.
-Bonne humeur même quand les attaques fusent quand je me bats contre ces -nouveaux interdits dont je parle au début.
Tiens, j’en profite (et chacun en fera ce qu’il veut), pour repréciser ma pensée et mes connaissance par rapport à certains autres points :
-Le grand deuil n’était pas de 13 mois, mais de 7 ans
-Le fichu de propreté était toujours blanc, et donc pas forcément assorti à la chapelle.
-Une pèlerine était toujours portée avec un tuyauté (hum, on n’en voit plus si souvent …)
Alors bien sûr le costume à évolué, bien sûr que de nouveaux codes sont arrivés, bien sûr qu’on n’est pas forcé de suivre ce que je viens de dire, mais il faut aussi respecter celles, qui comme moi, s’habillent en gardant toujours à l’esprit : Transmission Popularité Respect
Huguette Paul